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TEMOIGNAGE DE SPORTIF DE HAUT NIVEAU
GINO BARTALI

                    La dernière échappée de Gino le pieux

        CYCLISME « Gino le pieux », véritable légende du cyclisme italien, s'est éteint à l'âge de 86 ans. Ce grimpeur exceptionnel fut le vainqueur de deux Tours de France (1938 et 1948).

Gino Bartali s'est échappé, sa dernière échappée, à 86 ans, terrassé par une maladie incurable. Depuis jeudi, les plus anciens pleurent abondamment la mémoire de l'ancien campionissimo, vainqueur notamment de deux Tours de France (1938 et 1948), de trois Tours d'Italie, de quatre Milan-San Remo, de trois tours de Lombardie et qui a été inhumé hier dans le caveau familial à Ponte a Ema, dans les faubourgs de Florence, après la cérémonie religieuse célébrée par le cardinal Silvano Piovanelli à l'église San Piero in Palco. Mais la carrière de Gino Bartali et la vie de « Gino le pieux », comme il fut surnommé parce qu'il était profondemment croyant et le restera jusqu'au bout, ont laissé, dans l'histoire du sport et de l'Italie tout entière, un sillon si profond que ses origines de paysan toscan ne peuvent à elles seules expliquer.

Gino Bartali, en fait, n'était pas un personnage de roman, il était un personnage de légende. Rien ne fut sans doute plus beau, dans la longue histoire du vélo, que son pathétique mano a mano avec l'autre campionissimo, Fausto Coppi. Curieusement pour coureurs contemporains, les deux champions _ qui avaient pourtant perdu chacun un frère en course _ étaient incomparables, chacun à leur façon et tous deux, finalement, en furent grandis. Rivaux aussi lumineux qu'acharnés mais dont l'image n'a jauni que sur papier sépia.

Fausto Coppi, mort en 1960, incarnait le néo-modernisme, l'Italie qui se relevait des ruines de Mussolini. Gino Bartali, à côté, était le prolongement de l'Italie d'avant-guerre, traditionnelle, champion avant, que le pouvoir politique ne parvint pas à récupérer, champion après, qui refusera de baisser la tête quand le profil et l'appétit d'aigle de son cadet commencèrent à le dépouiller de ses rêves de victoires. N'empêche. Les destins des deux champions étaient liés comme le sera, plus tard en France, dans les années 60, les trajectoires de Jacques Anquetil et de Raymond Poulidor.

Osons-le : Anquetil, c'était Coppi ; et Bartali, c'était Poulidor avec un palmarès autrement plus riche, mais un respect des supporteurs, ou des tifosi, identiques. En résumé, Gino Bartali, marié à Adriana, père de trois enfants, et qui reçut l'extrême-onction dix jours avant sa mort, était un glorieux coureur et un homme aimé. Campionissimo aussi de la fidélité et du souvenir : exposée, dans son grenier, sur la bicyclette jaune avec laquelle il gagna le Tour de France 1948 et qu'il décora de l'effigie de la Sainte Vierge, la silhouette inimitable de Gino Bartali semble bien en selle pour l'éternité.

Jean-Marie Safra, La Croix, 09/05/2006