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TEMOIGNAGE DE SPORTIF DE HAUT NIVEAU
JEAN-NOEL BLANCHETTE

               Jésus au dojo !

Est-il possible de concilier la foi chrétienne et les arts martiaux japonais?

Comment un Occidental croyant peut-il concilier sa propre tradition religieuse avec l'art martial japonais qu'il pratique, par exemple le karaté, lorsqu'une autre religion, le bouddhisme zen, est étroitement associée à cette forme d'art martial au Japon? C'est pour trouver une réponse à cette question que Jean-Noël Blanchette a d'abord écrit un mémoire de maîtrise, ensuite une thèse de doctorat en théologie dont il a fait la soutenance en janvier dernier à l'Université Laval. "Au Japon, explique-t-il, certains arts martiaux comme le judo, le karaté et l'aïkido ne visent pas que le développement intégral de la personne. Ils ont comme but ultime son développement spirituel. En plus, dans ce pays, la tradition associe de manière étroite telle religion à tel art martial en particulier."

Sa thèse apporte deux éléments de réponse qu'il est allé chercher dans la culture et dans l'histoire du Japon. "Au 16e siècle, dit-il, des guerriers japonais adeptes des arts martiaux ont porté des symboles chrétiens sur leur armure. À cette époque, le christianisme était présent chez les élites comme dans la population japonaise. L'autre élément de réponse se trouve dans la diversité religieuse au Japon", rappelle celui qui pratique le karaté depuis une trentaine d'années, qui se définit comme chrétien et comme croyant, et qui enseigne la religion et la morale dans une école secondaire de Sherbrooke.

Jean-Noël Blanchette écrit dans sa thèse que la tradition religieuse japonaise repose sur une vision polythéiste qui a su s'enrichir d'éléments étrangers. C'est ainsi que le shintoïsme d'aujourd'hui vit en symbiose avec des éléments du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme. La tradition martiale, quant à elle, a connu des réformes constantes. "Ceci, écrit-il, montre que le karaté et les arts martiaux en général n'ont pas entretenu au cours de l'histoire de rapports exclusifs avec le zen en particulier, mais plutôt avec l'ensemble de la tradition religieuse japonaise. Ce rapport n'est pas essentiel, mais tout aussi bien déterminé par des circonstances historiques que par des choix culturels et personnels."

Un monde fermé
Jean-Noël Blanchette qualifie d'hermétique l'univers des arts martiaux traditionnels japonais. Selon lui, les relations entre individus sont de type vertical et l'obéissance ainsi que la loyauté à l'autorité sont de mise. Dans sa thèse, il critique les défenseurs occidentaux de cette tradition, en particulier le karatéka français Roland Habersetzer, auteur de nombreux ouvrages sur les arts martiaux, qui affirme l'existence d'un rapport exclusif entre le karaté et le zen. Dans sa thèse, l'auteur démontre plutôt la pluralité des rapports possibles entre cet art martial et toute autre forme de spiritualité. "La dimension spirituelle des arts martiaux, écrit-il, est une création culturelle, l'aboutissement d'une tension dynamique entre deux pôles de la culture japonaise, le profane et le religieux." Selon lui, la distinction entre le sacré et le profane, entre le monde surnaturel et le monde réel est beaucoup plus subtile au Japon qu'en Occident.

À partir du moment où il n'est pas obligatoire d'être Japonais, ni de devenir bouddhiste zen pour pousser très loin sa pratique d'un art martial comme le karaté, comment l'individu fait-il pour concilier sa foi chrétienne avec son cheminement martial? Une des pistes avancées par Jean-Noël Blanchette est le recours à l'ascèse. Cette discipline personnelle tend vers la perfection morale. "Nous avons des valeurs chrétiennes qui sont aussi belles que celles prônées par les arts martiaux visant le développement spirituel, poursuit-il. Ces arts martiaux prônent notamment le sens de la justice, le respect, la loyauté." Si le comportement du karatéka japonais prend sa source dans l'ancien code d'honneur des samouraïs de l'époque féodale, l'adepte occidental d'aujourd'hui peut s'inspirer du Moyen Âge européen. "À mon avis, il existait une spiritualité au sein de la chevalerie en Europe comparable à celle des guerriers japonais du passé. Mais nous l'avons oubliée."

YVON LAROSE

Je suis né dans la ville de Québec en 1956 et je possède un doctorat en sciences humaines des religions. Présentement, je suis enseignant en éthique et culture religieuse.

J’ai débuté les arts martiaux avec mon père, militaire. Il m’a initié au défendo et au tir à la carabine.

En 1970, j’ai été initié au Kempo avec sensei Desruisseau.

En 1973, à Drummondville, j’ai débuté le chito-ryu sous l'enseignement de sensei Gilles Réhaume. J’ai participé à de nombreux stages de perfectionnement avec sensei Tsuruoka ( Le père du Karaté au Canada) et sensei Trang Quan Ba  ; mais aussi avec des maîtres japonais appartenant à d'autres styles de karaté : sensei Nishiyama, sensei Okazaki, sensei Kanazawa, du shotokan ; sensei Mochizuki du style yoseikan, etc. Du style shotokan, j’ai reçu, en 1980, un grade de 2 e dan de sensei Yamagushi.

Entre 1979 et 2008, j’ai approfondi le chito-ryu sous la direction éclairée de sensei Higashi, de sensei Chitosé et des maîtres du chito-ryu que je rencontre lors des séminaires.

Entre 1977 et 1990, tout en continuant mon approfondissement du karaté, je m’initie à d’autres arts martiaux. J’ai pratiqué le judo pendant plus de deux ans sous la direction de sensei Robert Chaussé et de sensei Benoit Séguin. Pendant près de 20 ans, j’ai reçu les conseils de sensei Higashi en kobu-jutsu sur le bo, sai, tonfa, kama, etc. ; j’ai fait l'apprentissage de l'aïkido pendant près trois ans avec sensei Roger Roy ; enfin, j’ai expérimenté l'iaïdo, le tai-chi et le katori-shinto-ryu.

Sur le plan sportif, je me suis démarqué régulièrement et j’ai remporté plusieurs médailles. En 1974, par exemple, j’ai décroché le titre champion provincial en combat  dans la catégorie des ceintures vertes-bleues-brunes (aucune catégorie de poids n’existait à cette époque. De plus, les coups au corps étaient assez violents). En 1982, lors de la visite de O-sensei Chitosé au championnat international (Canada-USA) de chito-ryu, j’ai eu les honneurs de l'or en kata et du bronze en combat. Il faut souligné qu’à cette époque, on utilisait en combat une armure au visage et au corps et les coups étaient donnés sans aucun contrôle.

En 1984, je pars vers le Japon où je participe aux entraînements matinaux et dirige, comme instructeur, les cours du soir au dojo de O-sensei Chitosé. Vers la fin de mon séjour, j’ai eu l’insigne honneur de recevoir, en privée, les derniers enseignements de O-sensei Chitose (1898-1984),fondateur du Chito-ryu.

En 2001, j’ai écrit une page d'histoire en Chito-ryu en devenant le premier Québécois et le premier Canadien qui ne soit pas d'origine japonaise à accéder au grade de 6 e dan en chito-ryu traditionnel. (Les premiers maîtres étant, par ordre, sensei Tsuruoka, sensei Higashi et sensei Akutagawa.) Quelques années plus tard, j’ai obtenu le titre de renshi

Durant de nombreuses années, je me suis intéressé à l’aspect philosophique, moral et spirituel des arts martiaux que la culture japonaise désigne en utilisant le terme de «budo». J’ai approfondi cet aspect de l'art martial lors de mes études universitaires à la maîtrise et tout particulièrement au doctorat. J’ai découvert que la pratique du budo  peut s’adapter à toutes les cultures philosophiques et spirituelles du monde. 

En 2008, après plus de 38 années d’expérience et d’approfondissement du karaté-do, en s’appuyant sur les conclusions de ma thèse doctorale, et sur des enseignements particuliers que j’avais reçus de mes maîtres, j’ai créé une branche («Ha» en japonais) du style de karaté Chito-ryu. En effet, selon la tradition et les règles du budo, mes conceptions légèrement différentes du style Chito-ryu m’invite à créer une nouvelle branche et à lui donner un nouveau nom : le style Shinbuha Chito-ryu Karaté-do.  On dit aussi «shinbu-ryu» ou tout simplement «Shinbu». En 2009,  je recevais le grade de 7e dan et le titre de kyoshi de la Dai Nippon Butoku Kai de Kyoto. La DNBK est un organisme gouvernemental, présidé par un membre de la famille impériale qui fait la promotion des arts martiaux.

Le maître de karaté sherbrookois, Jean-Noël Blanchette (ceinture noire septième dan), est devenu en 2012 le premier québécois à recevoir le titre de « hanshi ho » de l'organisation internationale de karaté DNBK (Dai Nippon Butoku Kai).

Lors d'un récent voyage au Japon, monsieur Blanchette a reçu ce titre décerné par les grands maîtres de son sport après évaluation. Il est seulement le troisième maître de karaté canadien à obtenir le titre de « hanshi ho », l'avant-dernier titre avant d'atteindre la plus haute marche. Ce titre (hanshi ho) veut dire qu'il est candidat au titre de hanshi. C'est que l'homme de 56 ans est considéré trop jeune, actuellement, pour recevoir le titre de hanshi qui est le grade le plus élevé en tant que maître du karaté. « C'est très rare et très prestigieux, même au Japon. Le titre que j'avais avant d'être hanshi ho était celui de kyoshi qui veut dire expert et maître instructeur, tandis que le titre de hanshi est celui d'un modèle », a expliqué hanshi ho Blanchette.

C'est donc la consécration après plus de 40 années de travail et d'entraînement en karaté pour Jean-Noël Blanchette. Détenteur d'un doctorat en sciences humaines des religions, ce dernier est enseignant à l'école secondaire du Triolet en éthiques et cultures religieuses. Bien connu dans le domaine des arts martiaux, il enseigne également le karaté depuis plus de 30 ans au dojo du centre sportif de l'Université de Sherbrooke. Le maître Blanchette se plaît à dire qu'il fait partie des meubles à cet endroit. « Je suis content d'enseigner le karaté aux étudiants universitaires. Ce sont de bons étudiants qui découvrent la passion de cet art martial traditionnel », explique-t-il.

Les prochaines étapes pour Sensei Blanchette sont l'obtention de son huitième dan et, ensuite, du titre officiel de hanshi.

Il s'envolera pour Londres en août 2013 pour participer à un symposium avec le titre de hanshi ho. « A 56 ans, je suis encore un peu jeune pour obtenir le huitième dan mais on verra le résultat de cette prochaine évaluation. En général, le grade de huitième dan est remis à des maîtres de plus de 60 ans », explique-t-il. « Si la logique est respectée, j'aurai d'abord le huitième dan et, plus tard, les grands maîtres me remettront le titre de hanshi. Mais avant, ils devront me revoir pour m'évaluer et constater ma maturité en tant que maître de karaté », conclut Sensei Blanchette.

           sa thèse de doctorat en théologie : le syndrome du perroquet