PRETRES SPORTIFS
PERE HENRI DIDON

                  PERE HENRI DIDON : APOTRE DE L'OLYMPISME !

    Didon, apôtre de l'olympisme. Ce dominicain fut au siècle passé le père de la devise l'olympique. Alain Arvin-Berod, Membre du Centre de recherche en analyse du sport de Lille III, auteur des Enfants d'Olympie, Cerf, 1996.

L'histoire d' Henri Didon est une aventure de la pensée, de la foi catholique et du combat pour une pédagogie innovante qui a baigné dans les batailles politiques du XIXe siècle aux côtés de Pierre de Coubertin. Elle avait commencé en 1840, année de sa naissance au Touvet (Isère) pour connaître une première expérience étonnante au petit séminaire du Rondeau à Grenoble où avaient été institués pour la première fois dans l'histoire moderne des Jeux Olympiques en 1832...

Didon est devenu dominicain à 17 ans (puis prêtre en 1862) pour exprimer en chaire avec éloquence, vigueur et parfois avec une liberté de ton peu appréciée de ses supérieurs, ses convictions de croyant. Ce tempérament fougueux devait lui valoir une mise à l'épreuve durant deux ans à Corbara en Corse. Il fut soutenu dans cet « exil » momentané par Pasteur dont il était déjà un ami. Infirmier durant la guerre de 1870, Didon le patriote n'hésita pas à publier en Suisse une lettre pour réclamer le retour de l'Alsace et de la Lorraine à la France. Il se passionne pour Christophe Colomb, fréquente l'explorateur Stanley ou, plus hardiment encore, suit sur les bancs du Collège de France les cours de Claude Bernard. Il veillait à concilier sa foi avec les avancées du progrès sur tous les plans. « Dauphinois, je suis un homme des frontières », aimait-il répéter. C'est ainsi qu'il décida de faire un séjour de deux ans en Allemagne après la guerre.

Henri Didon allait se révéler quelques années plus tard comme un écrivain de renom après la publication de sa Vie de Jésus-Christ en réponse à Renan. L'école Albert-le-Grand, collège dominicain d'Arcueil, en banlieue parisienne, lui ayant tendu les bras pour en assurer la direction, il fait bénéficier l'établissement des fruits financiers de ses droits d'auteur pour améliorer l'enseignement et édifier des équipements sportifs. A peine est-il nommé prieur d'Albert-le-Grand que Coubertin, son cadet de vingt-trois ans, lui rend visite. Le baron ne parvient pas à organiser des rencontres sportives qui mêlent sur un même stade des enfants des lycées avec ceux des écoles religieuses : Didon répond à Coubertin par la tenue, trois mois après leur rencontre, des premiers championnats de sports athlétiques à Arcueil où la fraternité sportive efface les frontières idéologiques. Et à la fin des compétitions, le Frère prêcheur lance aux participants sa célèbre formule Citius, Altius, Fortius que le secrétaire des épreuves, Pierre de Coubertin, entend à ses côtés. Nous sommes le 7 mars 1891, et trois ans plus tard Coubertin propose au Congrès olympique à la Sorbonne d'adopter les paroles de Didon comme devise olympique. Au même moment, le prieur d'Arcueil est à Olympie où il a emmené une « caravane scolaire » de son collège ! Entre-temps, la formule était devenue l'hymne des « Enfants d'Arcueil »

Conseiller de Coubertin, Henri Didon est présent à Athènes aux JO de 1896 où il a encore emmené des élèves et où il célèbre la première messe olympique de l'Histoire devant 4 000 personnes à Saint-Denys l'Aréopagite.

Tolérant, il favorise la libre initiative des adolescents et croit dans les vertus de la démocratie associée à la foi. Cela lui vaudra un mauvais procès en 1898 en pleine affaire Dreyfus, suite à son discours de distribution des prix. « Je me souviens de ce discours de distribution de prix. Avec une audace sans pareille, devant ses élèves captivés et des parents mal à l'aise, il prit à bras le corps la bête noire du moment, l'antisémitisme et lui donna son vrai nom, la paresse... » (1), rapportera Coubertin dans un hommage posthume.

C'est encore Didon qui avait ouvert aux côtés de Félix Faure le second congrès olympique du Havre. Le gouvernement de la République le nommera comme seul ecclésiastique membre de la délégation parlementaire en 1899 chargée d'enquêter sur l'enseignement en Angleterre. Et un an plus tard, il est chargé par Waldeck-Rousseau de porter un message personnel au Pape Léon XIII afin de trouver une issue négociée au conflit entre l'Eglise et l'Etat, mais il meurt subitement durant le voyage. Quatre ans plus tôt, le Pape qui avait reçu la délégation d'enfants d'Arcueil se rendant aux JO, lui avait dit après avoir remis une médaille aux collégiens : « A vous mon Père, il faudrait une autre médaille... » Un siècle après sa mort, La Poste édite une vignette en son honneur, et le Vatican émet un timbre à son effigie. L'histoire, tardivement certes, aura su reconnaître à Henri Didon les qualités de « pionnier du dedans et chevalier du dehors », selon l'expression de son successeur à Arcueil, qui ont fait du dominicain un apôtre de l'olympisme et de la paix.

(1) Thèse d'Etat de Mme Simone Hoffmane « La carrière du P. Didon, 1840-1900 », 1985, Bibliothèque du Saulchoir.

                  article rédigé pour la revue : La Croix 23/11/00

    1891, le baron Pierre de Coubertin et le Pere Henri Didon partent en croisade. Les deux hommes ont contribué à imposer une nouvelle vision du sport. Si l'oeuvre de synthèse rénovatrice du baron est connue, l'apport du Père dominicain est trop souvent occulté.

Il porte beau pour ses 27 ans. Moustache arrogante, allures de dandy et fières certitudes au front. Mais le voilà tout de même dans ses petits souliers. Impressionné, Pierre de Coubertin l'est, dans ce bureau de la rue Saint-Jacques où son hôte reçoit une fois par semaine. La renommée de son interlocuteur, qui dépasse largement les frontières hexagonales, écrase un tantinet l'ambitieux jeune homme. On le dit libéral, ouvert au souffle des idées nouvelles, le Père dominicain Henri Didon. Mais aussi impétueux et capable d'écorchantes réparties.

Comment va réagir le prieur de l'école Albert-le-Grand d'Arcueil à sa requête ? Le baron espère enfin un soutien qui, pour l'instant, le fuit. Il se lance, explique son intention de mettre en place des compétitions entre élèves des établissements religieux et laïques. Il argumente, ose : pourquoi ne pas créer une association sportive à Arcueil ? La réponse d'Henri Didon fuse : « Venez la fonder, j'en serai. »

Le Père dominicain n'est pas du genre à laisser refroidir les chauds enthousiasmes. L'Association athlétique d'Albert-le-Grand naîtra, le 13 janvier 1891, onze jours à peine après l'entrevue entre les deux hommes. Le 7 mars, elle organise ses premiers championnats, Henri Didon préside la manifestation et lance à ses jeunes athlètes trois mots après lesquels courir : citius, altius, fortius. « Plus vite, plus haut, plus fort », la future devise olympique.

Car la renaissance de l'antique compétition n'est pas seulement l'oeuvre d'un rénovateur inspiré, visionnaire obstiné frappé par la révélation olympique au hasard d'un siècle finissant. L'idée habite l'époque, germe progressivement dans quelques esprits forts. Henri Didon est de ceux-là. Sa route, forcément, devait croiser celle de Pierre de Coubertin. L'histoire retient surtout la baronnesque équipée, mais ces deux destins s'entrecroisent pour conter la belle aventure (1). Laquelle commence d'ailleurs sans eux, dès 1831, quelque part en Dauphiné.

Au pied des contreforts du Vercors, au lieu dit du Rondeau, se niche un petit séminaire. A la rentrée, les élèves remarquent que le programme des études publié par les ecclésiastiques laisse une date en blanc : le 29 février 1832. Or, certains d'entre eux, membres d'un cercle de philosophie, dévorent depuis quelques mois un ouvrage qui enflamme leur imagination adolescente : Le Voyage du jeune Anarchasis en Grèce. Le livre de l'abbé Barthélemy narre par le menu les Jeux grecs. Pourquoi ne pas profiter du vide du calendrier pour organiser au Rondeau des Jeux Olympiques chaque année bissextile ?

Proposition est ainsi faite au supérieur de l'établissement. Qui non seulement acquiesce, mais rebondit sur l'initiative en invitant ses jeunes audacieux à ouvrir une « nouvelle ère olympique » symbolisée par une charte, un règlement, des cérémonies d'ouverture et de clôture. Le tout organisé par un groupe d'élèves, élus au suffrage universel. Une autogestion avant l'heure, qui montre assez la largesse d'esprit des religieux du Rondeau.

Très vite, le projet prend forme. Et le 29 février, se bousculent au programme des festivités jeux de camp, de boules, de ballon, courses aux chars, aux cerceaux, courses en sac. Plus tard seront introduits la perche, le sabre, le disque. En 1848, quand débarque au Rondeau un certain Henri Didon, les JO sont une véritable institution.

Le gamin affiche alors huit printemps et il promet, le bougre. Plus que dans les épreuves physiques, Henri brille au concours littéraire associé aux JO. Devant le séminaire assemblé, il exalte les vertus du sport et l'olympisme d'hier. Un discours qu'il ne cessera de peaufiner. En 1856, il quitte le Rondeau et rejoint l'ordre des Dominicains qu'Henri Lacordaire a rétabli en France dix-sept ans plus tôt, se consacrant depuis 1854 à l'enseignement de la jeunesse.

Didon apprend vite de son maître, et notamment cet art de la prédication qui ne lui attire pas que des sympathies. Car le voilà ordonné prêtre à 22 ans, véhément du haut de sa chaire à fustiger l'intolérance et le sectarisme, ne cachant pas ses penchants républicains et démocrates. Didon, au fil du temps, s'enhardit de plus en plus, et ses prises de position finissent par froisser sa hiérarchie, qui calme le moine récalcitrant en l'exilant en Corse, en 1880. Son ordre, pourtant, ne peut se passer plus longtemps d'un tel tempérament. En 1890, il est nommé prieur du collège Albert-le-Grand. Un an plus tard, c'est la rencontre avec Coubertin.

Inévitable ? Depuis sa plus tendre enfance, le baron est bercé par la religion catholique et la fidélité au régime monarchique. Pesanteurs de classe : la bourgeoise famille Coubertin, campée sur ses traditions jusqu'à la caricature, veille à ce que sa progéniture file droit. Mais le petit Pierre, très tôt, affirme une forte propension au louvoiement. Le carcan familial serre un peu trop aux entournures, et l'adolescent avoue sans rougir ses coupables amours républicaines.

Le voilà donc en marge de son milieu, individualiste forcené qui refuse, tout comme Didon, de mettre un mouchoir sur ses convictions. Comme le Révérend Père encore, il est persuadé que l'avenir du monde appartient à la jeunesse et dépend de la qualité de son éducation. En la matière, Coubertin vante, après plusieurs séjours outre-Manche de 1883 à 1886, le système anglais, et tout particulièrement la place accordée aux exercices physiques dans les public schools et autres universités.

Parvenus par des chemins divers aux mêmes conclusions, les deux hommes déroulent un fil d'Ariane qui, finalement, lie leur fortune commune. Didon conseille, titille : « Quand on veut sauter trois mètres, il faut en viser cinq : dans la vie, ce ne sont pas tant les jarrets qui vous trahissent que le manque d'ambition qui vous actionne insuffisamment. » Coubertin écoute, s'active, synthétise. Sans stratégie réellement arrêtée, mais avec opportunisme et surtout une énergie sans pareille.

Observateur, Coubertin note évidemment le retour de l'olympisme dans l'air du temps. En Suède, au Canada, en Grèce, en France et surtout en Allemagne, quelques manifestations ne se privent pas d'allusions aux joutes helléniques. Autant de pièces éparses d'un puzzle que Coubertin se charge d'ordonner. En lui conférant, et c'est là la grandeur de sa vision personnelle, une dimension internationale.

Le 23 juin 1894, quand les 69 délégués venus de 12 pays proclament à l'unanimité à la Sorbonne le rétablissement des « Jeux abolis par Théodose », Coubertin peut savourer sa victoire. Mais il en convient avec Didon, elle n'est que partielle. Les Jeux d'Athènes, auxquels Didon assiste avec ses lycéens, sont surtout « de la technique habillée d'Histoire », juge le baron.

Trop loin de l'épopée morale et pédagogique dont rêvent les deux hommes. Qui continueront à porter leur message. Didon, en infatigable pèlerin de la cause éducative, jusqu'à sa mort en 1900. Coubertin, en rénovateur bientôt dépassé, vivant de plus en plus mal l'adaptation de son oeuvre au monde moderne, et retournant sur le tard à ses passions premières en créant en 1925 l'Union pédagogique internationale, puis en 1928 le Bureau international de pédagogie sportive.

Les Jeux sont alors déjà de grands enfants qui ne cessent de pousser. Jusqu'à la démesure, certes. Raison de plus pour relire les valeurs humanistes de fraternité et de tolérance de ces croisés du sport.

(1) Lire l'excellent ouvrage que vient de publier Alain Arvin-Bérod : Les Enfants d'Olympie, 1796-1896, Editions du Cerf, 120 F.

                  article rédigé par Jean-Luc Ferre pour la revue : La Croix 22/07/96